Kares Le Roy est un photographe et réalisateur basé à Paris. C’est un grand amoureux des beautés de l’Orient qui nous transmet cet amour par l’image.
Kares et moi, on se connait depuis pas mal d’années maintenant. Depuis tout ce temps, j’ai vu son travail évoluer et j’ai pris une grosse claque.
Je ne vais pas le cacher, je suis complètement fan de ce qu’il fait. En fait, j’aime sa démarche, son projet, son discours, et les photos qu’il réalise. Cependant, je vais essayer de vous le présenter en restant objective.
Réaliser le portrait de Kares a été un exercice un peu plus compliqué qu’avec les autres artistes. En effet, lorsque j’arrive chez quelqu’un pour l’interviewer, il est mal à l’aise, maladroit, et il a peur de mal faire. Kares Le Roy, lui, n’est pas mal à l’aise. Aussi, donner des interviews fait parti de son travail. Sauf que ses réponses sont presque formatées. Ainsi j’avais l’impression d’écouter ce que j’avais lu de ses précédentes interviews, et qu’il voulait seulement parler de son dernier livre. Or, ce qui m’intéresse c’est lui-même. En effet, je veux comprendre sa démarche, je ne veux pas simplement faire la promotion de son dernier livre. J’essaie de sonder son âme, et Kares ne voulait pas me laisser faire. Mais petit à petit j’y suis arrivée.
Ses débuts de photographe
Jeune, Kares Le Roy a fait parti d’un groupe de rap, Rimsland. Dans ses textes il parlait de ce qu’il vivait en général. Sur certains titres il évoquait alors son besoin de voyager et de sortir de ce carcan qu’on nous impose en Europe.
Autodidacte, il s’intéressait à la photographie et au graphisme. Aussi ses premiers clients étaient les gens qu’il côtoyait, c’est-à-dire des rappeurs, des DJs, des musiciens. Ainsi, la transition s’est faite simplement. Il parle de cette période avec le sourire. C’est beaucoup de bons souvenirs et de belles rencontres. Il s’est cherché et il s’est même essayé à la photo de mode. A propos, j’avais posé pour lui à cette époque. Néanmoins le monde de la mode n’était vraiment pas le sien. Par ailleurs, il préférait les portraits aux pleins pieds. Je me rappelle aussi qu’il disait qu’il ne savait pas quoi faire des jambes sur une image, qu’il avait l’impression de voir deux allumettes…
A l’époque de notre rencontre en 2009, Kares préparait déjà sa reconversion professionnelle. Enfin, il n’a pas réellement changé de métier, il est resté photographe. Mais plutôt que de construire l’identité visuelle d’artistes, il a choisi d’aller à la rencontre d’identités fortes déjà existantes. Ainsi en juillet 2009, il fait son premier long voyage avec de la musique dans ses bagages évidemment, surtout avec Stevie Wonder.
Le 1er ouvrage de Kares : 56000 kilomètres, Un continent et des Hommes
En s’envolant pour Jakarta, Kares Le Roy n’a pas d’idée précise ni sur ce qu’il va faire, ni sur la durée de son voyage. Alors équipé de son appareil photo, l’idée d’un livre n’est jamais loin. En fait, c’est lorsqu’il rencontre les tribus Karen du nord de la Thaïlande qu’il comprend que c’est eux qui l’intéresse : les gens qui vivent à l’écart, « les oubliés », ceux qui ont gardé une culture ancestrale. Cela devient alors une évidence. Or trouver les tribus et les appréhender prend du temps.
Ce voyage dure deux ans. Il parcourt les villes, les villages, les monuments, les paysages, les zones les plus connues et les zones les plus ignorées : 56000 kilomètres de Jakarta à Istanbul, en passant par la Mongolie. Il photographie alors les hommes et femmes qu’il rencontre, ainsi que leur environnement.
Un échange humain
Ce voyage est avant tout un échange humain. Les barrières de la culture et de la langue en font un véritable challenge. Alors, Kares prend le temps de vivre auprès des tribus, d’intégrer leur quotidien, d’être accepté, puis qu’eux acceptent d’être photographiés. En effet, il ne veut pas se comporter comme un voleur qui arrive, déclenche son appareil, et puis repart. Par exemple, à Minab au sud-est de l’Iran, onze jours d’approche lui sont nécessaires pour qu’on le laisse photographier les femmes qui portent le bandari burka, le masque rouge avec lequel elles recouvrent leur burka.
Kares Le Roy rentre en France avec tellement d’images que publier un livre est une évidence. Il découvre alors le combat des maisons d’édition. Cependant il se simplifie la vie et crée la sienne, Amu Darya. Ainsi, c’est plus facile de tout contrôler. Grâce à sa formation de graphiste, il s’occupe lui-même de l’identité visuelle du projet.
Lors de la 1ère exposition qu’il a organisée, Kares me disait qu’il venait de passer 16 mois à écouter les autres, et qu’à présent, la situation était inversée. C’était alors à son tour de parler des autres aux autres.
Ashayer, nomades en persan
La démarche d’Ashayer est différente. Cette fois, Kares prépare ses 16 mois de voyage, et il sait exactement ce qu’il veut photographier : les tribus nomades perses. Ce qui le touche chez les nomades, c’est leur façon de vivre qui est des plus simples. Il roule jusqu’en Asie centrale au volant d’un van aménagé pour dormir dedans. Il y installe même une imprimante afin de pouvoir offrir un portrait à ceux qui lui offrent de leur temps.
L’amour de l’Iran
Pour Kares, « l’Iran est le plus beaux des pays ». Ses yeux brillent dès qu’on évoque ce sujet. C’est en fait le berceau de la civilisation, riche en culture, en poésie, et en paysage. Il en aime l’accueil, la langue, la nourriture. Tout est fascinant en Iran, même ce qui semble dur. Il parcourt aussi les pays voisins qui ont une identité perse forte comme le Tadjikistan ou l’Afghanistan.
Cependant ce voyage n’est pas sans risque. Les hivers sont très rudes en Asie centrale. Un soir, il fait -11°C à l’intérieur du van, et -27°C à l’extérieur. Il a vu son verre d’eau se transformer en glaçon. Alors, le lendemain matin, il s’est réfugié à Bichkek, la capitale du Kirghizistan, afin d’attendre les beaux jours en sécurité.
Parfois l’accueil fait par les tribus nomades est compliqué parce qu’ils ne comprennent pas notre civilisation. Alors, Kares se fait accompagné d’un d’un traducteur, ce qui n’est pas une tâche simple non plus car cette personne doit venir de la même tribu. Puis une fois en chemin, la tribu le voient arriver de loin. On le regarde, on l’observe. Alors il lui faut des semaines d’approche. Aussi, quelques rares familles sont plus fermées que d’autres, et il les comprend. Ce n’est pas toujours évident de laisser un inconnu qui ne parle pas votre langue s’introduire chez vous pour vous photographier. En fait, c’est une réaction humaine après tout.
Pendant ce voyage, Kares Le Roy passe plus de temps à écrire qu’à photographier. Aussi, il note ses idées, ou il écrit des articles de presse qui seront publiés dans les magazines de voyage ou de photographie. Enfin et surtout, il prépare Ashayer.
Et Kares dans tout ça ?
En tant que photographe, Kares est ravi de sa visibilité. Néanmoins, en tant qu’entrepreneur, il l’est moins. En effet, il a toujours le sentiment qu’il aurait pu faire mieux. Surtout que ses voyages ont des coûts conséquents. Aussi, il rêve de réaliser un film, mais pour cela il faut trouver un mécène.
Le meilleur et le pire ?
Parmi ses pires souvenirs, il évoque les deux semaines qu’il a dû passer à dos cheval pour rejoindre les Tsaatan, une tribu mongole, alors qu’il déteste l’équitation. Ou encore un déplacement avec son van en Turquie pendant lequel la police le prend pour un terroriste français rallié à Daesh.
Parmi ses plus beaux souvenirs, il évoque le lac Pokhara au Népal, ou la ville de Yazd en Iran, une des plus vieilles cités au monde. Aussi il se rappelle aussi d’un Noël passé chez une famille iranienne, qui a organisé un réveillon afin d’honorer sa présence, bien qu’il ne soit pas chrétien.
Kares, lui-même un nomade ?
Malgré toutes les cultures qu’il a pu découvrir, Kares ne se sent pas être l’un d’eux. En effet, il est conscient qu’il ne vient pas de là. Mais il a vu des hommes vivre seul dans une cabane au milieu de nul part, et cela, ça le fait rêver. Plus tard, il s’imagine bien vivre lui aussi isolé dans une yourte à la montagne ou près du bassin d’Arcachon. En effet, même si le voyage est sa passion, il aime la France. Par ailleurs, plus il voyage, et plus il aime son pays.
Le comble de la vie de Kares, c’est qu’en voulant donner la parole aux oubliés, il est souvent à leur contact, tout en menant lui-même une vie de solitaire. En fait, c’est plus simple d’être seul. Ainsi il prend tout le temps nécessaire à observer les gens, sans aucune contrainte, sans jamais mesurer ce temps. Kares Le Roy est un solitaire qui dédie sa vie aux autres.
Un humaniste généreux
Je dirai que Kares est un humaniste généreux. Humaniste parce qu’à travers les portraits qu’il réalise dans les contrées les plus reculées de l’Asie, j’ai l’impression qu’il recherche ce qu’il y a de plus originel chez l’humain, plus authentique, qui n’ait pas subi l’influence de nos sociétés modernes.
Et généreux parce que ses portraits il ne les fait pas que pour lui, mais à la fois pour les oubliés, pour leur donner la parole, et à la fois pour nous, spectateurs ravis de découvrir les beautés de l’Orient. De plus, c’est essentiel pour lui de rendre la pareille. Par exemple, après la sortie de 56000 kilomètres, il a organisé une collecte pour aider la grand-mère népalaise qui fait la couverture du livre. Puis il a tenu à lui remettre la collecte, plus un exemplaire du livre en mains propres. Pareil avec Ashayer et les portraits des chasseurs aigliers. Ces portraits ont aussi été beaucoup publiés dans la presse. C’était aussi important pour lui de leur ramener ces publications.
Pour moi, Kares est un peu un Lévi-Strauss moderne avec un appareil photo à la place des mots. En plus, ses photos sont sublimes. J’ai adoré 56000 kilomètres. En effet, c’est un des rares livres de voyages qui permet de découvrir tous les aspects d’une région du monde, c’est-à-dire autant les gens qui la peuplent, que les monuments ou les paysages qui la décorent. Puis Ashayer, c’est un peu comme un devoir de mémoire afin de ne pas oublier le berceau de la civilisation perse.
Pour découvrir son travail :
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